Burn-out : mythe ou réalité ?
Le burn‑out, défini par l’OMS comme un syndrome lié au travail, peut se manifester par un épuisement profond, du cynisme et un sentiment d'inefficacité professionnelle. Autrement dit : le corps, la tête et le cœur lâchent.
Pour Cathrine Mathey, psychologue du travail et spécialiste de la conception de stratégies face aux risques psychosociaux, il est important de rappeler que le burn-out s’apparente à un risque psycho-social (RPS). Pour rappel, les RPS sont induits par l’activité professionnelle (le contexte, l'organisation du travail, les relations hiérarchiques et entre pairs au travail) et ont des répercussions sur la santé physique, mentale et émotionnelle des employé·es.
Il y a donc une composante organisationnelle forte dans le burn-out, mais également une dimension individuelle. Or, dans les faits, on soigne encore majoritairement le burn-out au niveau individuel, sans toujours traiter les causes systémiques qui l'ont rendu possible. Un peu comme remettre quelqu'un sur pied pour le renvoyer ensuite sur le même terrain miné.
Un monde qui nous épuise ?
Notre monde contemporain est un terrain fertile pour l'épuisement : injonctions contradictoires, éco-anxiété, hyperconnexion permanente, obsession de la croissance, complexité des organisations, multiplication des rôles à tenir (professionnels, parentaux, citoyenneté exemplaire, sportif·ve et gourmet éco-responsable, si possible).
Ajoutez à cela l’omniprésence des réseaux sociaux, les mauvaises nouvelles en continu, la perte de sens au travail, et vous obtenez une recette parfaite pour imploser. Le tout sans même s'en rendre compte, puisque l'épuisement s'installe souvent à bas bruit.
Dans ce contexte, le burn-out est devenu un mot fourre-tout, parfois utilisé pour désigner un simple ras-le-bol. Il renvoie pourtant à une réalité physique, cognitive, émotionnelle et existentielle bien plus profonde.
Même s’il est très présent dans les conversations, le burn-out doit être diagnostiqué par une personne compétente (psychologue, psychiatre ou médecin). Il nécessite d’une part une compréhension fine de ce qui se joue réellement (dans le corps et dans la tête), et d’autre part un accompagnement adapté. Non, ce n'est pas « juste une mauvaise passe ». Les personnes qui l’ont vraiment vécu le savent.
Quand les signes ne trompent plus
Au-delà des symptômes de fatigue chronique, certains signes doivent alerter.
Voici une liste non exhaustive, mais particulièrement révélatrice :
Impossibilité de franchir la porte du travail, ou d’allumer son ordinateur. Le corps dit non, avant même que la tête ne formule quoi que ce soit.
Dissociation : impression d'être là sans y être, de fonctionner en pilote automatique, voire d'observer son propre corps à distance.
Absence d'émotions, engourdissement affectif brutal, là où la personne était auparavant investie ou sensible.
Cynisme, détachement, indifférence au travail : ce qui faisait sens devient absurde, irritant ou vide.
Perte de sens, impression d'inutilité, sentiment d'effondrement intérieur.
Difficultés à se concentrer, à réfléchir, pertes de mémoire.
Troubles du langage, vision floue, perte de repères dans l'espace.
Ce n’est pas un symptôme isolé qui compose le burn-out, mais l'accumulation et la persistance de plusieurs signes qui doit éveiller l'attention.
L'effet domino : quand tout s'effondre
Le déclencheur du burn-out est professionnel, et les répercussions peuvent déborder largement du cadre du travail : tensions familiales, isolement, perte de confiance en soi, sentiment de honte, impression de ne plus être à la hauteur nulle part.
L’effet cumulatif des pressions professionnelles et personnelles peut éteindre mécaniquement toute réserve énergétique, psychique et physique. Comme une implosion du système interne de la personne.
Facteurs aggravants
Contexte et/ou management toxique, parfois narcissique.
Injonctions contradictoires, objectifs flous ou irréalistes.
Manque de reconnaissance et d'espaces de parole sécurisés.
Distorsion entre les valeurs de la personne et celles vécues au sein de l’organisation.
Pour tenter de comprendre s’il existe des profils plus enclins au burn-out, nous avons interrogé Cathrine Mathey. Sa réponse est très claire :
« Il existe, bien sûr, des traits individuels qui peuvent augmenter le risque. Mais il faut garder à l’esprit que c’est toujours le contexte professionnel qui déclenche le burn‑out lorsqu’il ne met pas en place les garde‑fous nécessaires, notamment pour les personnes qui ont tendance à se sur‑investir. Le burn‑out est aussi une maladie de l’idéalisme : il touche des personnes porteuses de fortes valeurs, de grandes ambitions sur la manière dont le travail devrait se faire. »
Burn-out, fatigue ou dépression ?
On entend souvent « j’ai fait un burn‑out » entre le fromage et le dessert. Parfois, c'est une menace lancée : « je vais me mettre en burn-out». D'où l'importance de distinguer clairement burn-out, fatigue intense et dépression.
Le burn-out est un effondrement personnel dont le contexte professionnel est le déclencheur principal. La fatigue (même intense) est un état transitoire, réversible avec du repos. La dépression est une maladie psychiatrique qui peut toucher toutes les sphères de la vie, indépendamment du travail.
Ce tableau aide à y voir plus clair :
Le retour au travail : fragile, parfois impossible
Reprendre son poste est rarement un long fleuve tranquille.
Besoin de temps partiel, d'aménagement, voire de changement de poste.
Mutation interne ou changement d'entreprise.
Désir de reconversion pour retrouver du sens, de l'équilibre et une cohérence éthique.
« Il faut absolument que la personne concernée par un burn-out se repose suffisamment, puis se soigne, avant de réintégrer son emploi. Le risque est de négliger la partie soin, de ne pas suffisamment sonder son mode de fonctionnement. Cette partie prend du temps. »
Cette dernière insiste sur l’importance des jalons, les rituels et d’une véritable transition professionnelle et personnelle, souvent accompagnée. Repenser son rapport au travail, au rythme, au statut, aux routines, et parfois à ses choix de vie.
Pourquoi ce silence ?
Parce que la fragilité mentale est encore taboue.
Parce que le burn-out effraie : il évoque l'échec, la mise à l'écart, la perte de contrôle.
Parce que la stigmatisation persiste : confusions, jugements hâtifs, minimisation.
Le burn-out dérange : il bouscule l’imaginaire de la performance, confronte les organisations à leurs angles morts, et plonge souvent les personnes concernées dans une profonde culpabilité, comme si elles avaient trahi leur propre engagement.
Que peuvent faire les organisations ?
À cette question, Cathrine Mathey est formelle et démontre la prise de conscience urgente des organisations pour diminuer les risques.
Première étape : ouvrir le sujet.
Parler de santé mentale au travail sans détour, lever le tabou.
Expliquer les mécanismes du stress et de ses conséquences sur la santé des individus, des équipes et de l'entreprise, de la récupération active et passive.
Former et suivre les facteurs de risques psychosociaux : charge de travail, exigences émotionnelles, marges de manœuvre, climat de travail, cohérence entre valeurs déclarées et vécues, peur de perdre son emploi.
Former dirigeant·es et managers à repérer les signaux faible sans considérer ces signes comme de la faiblesse.
Deuxième étape : agir concrètement
Limiter l'accès aux e-mails en soirée et le week-end.
Offrir des espaces de parole, des temps de régulation collective.
(Re)Penser les modes de collaboration pour essayer de créer du lien, pour casser le sentiment de solitude.
Valoriser des modèles qui prennent soin des personnes et de leur travail, à tous les niveaux hiérarchiques.
Faire dialoguer les équipes entre elles sur le sens du travail et les critères d’un « travail bien fait ».
Intégrer pleinement la santé et la sécurité dans la culture du travail.
Fédérer vraiment les employés autour d’une vision réellement partagée.
En conclusion
Le burn-out n’est pas un caprice ni un luxe : c’est un cri du corps et de l’âme. Il touche souvent celles et ceux qui donnent beaucoup, qui croient fort, qui veulent bien faire.
Et si l’on acceptait d’écouter ce cri comme une boussole ? Ce que les organisations construisent et qui peut fissurer les individus, elles peuvent aussi le réparer, à condition de regarder en face ce qui, aujourd’hui, épuise celles et ceux qui les font vivre.
Remerciements
Cet article a été nourri par les échanges avec Cathrine Mathey, psychologue du travail et spécialiste des risques psychosociaux. Merci pour la clarté de son regard, la précision de ses analyses et son engagement sur les questions de santé mentale au travail.