Il va falloir que je prouve deux fois plus
Imaginez : un homme décroche un poste de direction. On le félicite pour son ambition, sa vision, son leadership. Il entre dans son rôle avec la confiance d’un homme qui ne doute pas que sa place était écrite pour lui. S’il commet une erreur, c’est normal : « il apprend, il ose, il innove ». Si son ton est tranchant, il est « autoritaire » (et c’est positif). S’il jongle entre sa vie pro et perso, il est « admirable ».
Maintenant, imaginez une femme. Même poste, mêmes responsabilités. Mais dès son premier jour, c’est un champ de mines. Elle sait qu’elle devra prouver sa légitimité. Non pas une fois. Mais deux, trois, dix fois.
Ses compétences seront scrutées au microscope. On dit qu’elle a eu le poste seulement parce qu’elle est une femme. Autrement dit, elle n’est probablement pas compétente. Son style vestimentaire ? Disséqué. Son ton ? « Trop doux », « trop dur », « pas assez charismatique », « trop émotif ». Sa vie de famille ? Sujet de curiosité : « Comment va-t-elle gérer avec les enfants ? » (breaking news : personne ne pose la question à son homologue masculin). Si elle réussit, on dira qu’elle a eu de la chance. Si elle échoue, on dira qu’on s’y attendait. Bienvenue dans la double peine des femmes en position de pouvoir.
La charge invisible des femmes leaders
C’est un fait : les femmes sont jugées plus sévèrement que les hommes. Des études montrent que les femmes occupant des postes à responsabilité reçoivent davantage de critiques sur leur personnalité, leur style de management, leur ton, leur apparence que leurs homologues masculins. Là où un homme est jugé sur ses décisions stratégiques, une femme l’est… ainsi que sur tout le reste : comportement, style, expressions faciales, intonation, ongles, coupe de cheveux… La totale.
Autre exemple frappant : plusieurs recherches indiquent que les femmes doivent prouver leurs compétences à plusieurs reprises, alors qu’un homme bénéficie plus rapidement du bénéfice du doute. Présomption de compétences. Autrement dit, un homme est promu sur son potentiel, une femme sur ses preuves. Ouille.
Conséquence ? Beaucoup de femmes hésitent à accepter des postes de direction. Dommage. Pas parce qu’elles manquent d’ambition, mais parce qu’elles connaissent l’épuisement qui les attend. Elles savent qu’un faux pas leur coûtera plus cher.
Quand les qualités deviennent des défauts (mais seulement pour elles)
Un homme qui coupe la parole en réunion ? Il est "affirmé". Une femme qui fait la même chose ? Elle est "agressive".
Un homme qui exprime sa colère ? Il est "directif". Une femme qui fait la même chose ? Elle est "émotive".
Un homme qui se vend bien ? Il est "ambitieux". Une femme qui fait la même chose ? Elle est "prétentieuse".
Ce double standard n’est pas anecdotique. Il conditionne la manière dont les femmes évoluent professionnellement. Et il explique pourquoi, dans de nombreuses entreprises, les femmes finissent souvent par s’auto-censurer. Quand on est sans cesse jugée sur tout (et son contraire), qu’on doit soigner chaque détail de son comportement pour éviter l’étiquette de « trop » ou de « pas assez », on finit souvent par se mettre en retrait. Trop dure, on te déteste. Trop douce, on ne te respecte pas. Trop ambitieuse, on te soupçonne. Trop discrète, on t’ignore. L’équilibre est impossible.
Et les hommes, dans tout ça ?
La plupart des hommes ne se rendent pas compte que ce poids invisible existe. Pour la grand majorité, ils n’ont jamais eu à craindre qu’on remette leur légitimité en question le lendemain d’une promotion.
Et pourtant, il est tellement courant d’entendre « si les femmes veulent des postes de direction, elles n’ont qu’à oser postuler ». L’enjeu n’est pas de vouloir, plutôt de survivre au regard implacable qu’on pose sur celles qui osent se positionner. Arrêtons de dire aux femmes d’oser et d’avoir plus confiance en elles-mêmes, et transformons la culture de travail, formons sur les biais, rendons le terrain de jeu équitable. Ambitieux. Possible. Les organisations qui savent identifier et retenir TOUS les talents le font déjà.
Alors, la prochaine fois qu’une femme accède à un poste de direction, observons toutes et tous nos propres biais.
Si elle était un homme, penserais-je la même chose ?
Attendrais-je autant d’elle ?
Lui ferais-je les mêmes remarques ?
Et surtout : aurais-je envie, moi aussi, de devoir prouver deux fois plus ?
Ces questions concernent autant les femmes que les hommes.
La gender fatigue : un refus poli de la réalité
Il y a un phénomène qui aggrave encore ce double standard : la gender fatigue. En gros, on reproche aux femmes de « se plaindre » ou de « dramatiser » leur situation, sous prétexte que « l’égalité est déjà atteinte » ou qu’« il y a des problèmes plus graves dans le Monde».
En réalité, c’est une forme subtile de sexisme qui vise à minimiser leurs luttes, à invalider leur ressenti : « Si tu te sens discriminée, c’est sans doute que tu exagères. » Ce qu’on appelle « fatigue » est surtout une résistance à la perte de privilèges masculins, un moyen de discréditer la parole des femmes en réduisant leur vécu à un simple phénomène de victimisation.
Conclusion : briser le plafond, ensemble
Le vrai problème, ce n’est pas que les femmes doivent prouver deux fois plus. C’est que nous l’acceptons encore comme un état de fait. Nous normalisons une injustice structurelle et culturelle. Et tant que cette norme perdure, les femmes continueront à hésiter avant de prendre des postes à responsabilité, non pas parce qu’elles ne sont pas capables, mais parce qu’elles savent à quel point elles seront jugées.
Alors, on fait quoi ?
On arrête de juger les femmes sur leur style, leur voix, leurs cheveux gris, et on les évalue sur leurs compétences.
On arrête de leur poser des questions qu’on ne poserait jamais à un homme.
On accepte qu’une femme puisse être compétente ET imparfaite, comme n’importe quel homme, finalement. 🙃
On soutient celles qui osent franchir la barrière, au lieu de leur mettre des bâtons dans les roues.
Dans les entreprises, on soutient les hommes qui soutiennent les femmes !
Il est temps que les femmes puissent prendre la place qu’elles méritent sans avoir à prouver, chaque jour, qu’elles en sont dignes. Parce que si un homme peut réussir avec une marge d’erreur acceptée, pourquoi pas elles ? Et quoi de plus stimulant que de s’impliquer dans une entreprise dont les processus de recrutement sont exigeant tant sur le potentiel que l’équilibre en termes de mixité ?
Cela nécessite une compréhension des enjeux, de la transparence dans la communication, de la formation.