Syndrome de l’imposteur : qui, comment, quand, quoi ?

« Je vais finir par être démasqué·e. »

« Je n’ai pas mérité ma place. »

« C’est sûrement une erreur si on m’a choisie. »

Ces phrases, vous les avez peut-être déjà entendues. Peut-être même pensées. Peut-être même répétées, à voix basse, à voix haute, à voix intérieure surtout. Petite voix parfois très insistante…. Bienvenue dans l’univers du syndrome de l’imposteur.

Spoiler : le syndrome de l'imposteur n'est pas forcément lié à un manque de confiance en soi, et cette petite voix n’est pas systématiquement la voix du syndrome en question.

Le syndrome de l’imposteur est un mécanisme psychologique complexe et documenté, qu’on a trop souvent transformé en mot-valise. Dès qu’une personne doute un peu d’elle-même, on dégaine (ou la personne elle-même parfois d’ailleurs) le terme comme une formule magique. Mais non : toutes les petites voix internes ne sont pas révélatrices de ce syndrome.

Le syndrome de l’imposteur, ce n’est ni de l’humilité, ni de l’anxiété passagère, ni un coup de stress avant une prise de parole. C’est un schéma intérieur persistant, une spirale de dévalorisation qui déforme la perception de soi et de ses réussites.

Un peu d’histoire : retour aux sources

Le terme "impostor phenomenon" a été formulé en 1978 par les psychologues Pauline Clance et Suzanne Imes. Elles étudiaient alors des femmes brillantes, diplômées, reconnues… mais intimement convaincues qu’elles étaient des fraudeuses. Comme si elles étaient en mission d’infiltration dans leur propre vie professionnelle.

Depuis, le phénomène a été élargi à tous les genres, tous les secteurs, tous les niveaux. Mais la racine genrée reste forte pour des raisons que nous évoquerons plus loin. En 2025, on pourrait aisément parler aussi de syndrome de l’impostrice, quand c’est de cela qu’il s’agit.

Un syndrome personnel ?

Oui, mais nourri par un monde professionnel biaisé.

Comme le souligne une psychologue du travail que nous avons interrogée : « C’est bien un mécanisme personnel… mais qui peut être activé ou renforcé à tout moment par l’environnement. »

Et justement, le monde du travail contemporain est un terrain fertile. Il coche pas mal de cases parmi les causes de renforcement identifiées par le psychologue Kevin Chassangre, référence française sur le sujet :

  • Transitions et prises de poste

  • Situations nouvelles à fort enjeu

  • Ambiances compétitives ou peu collaboratives

  • Attentes implicites et silencieuses

  • Succès inattendus ou sans reconnaissance claire

  • Isolement et manque de soutien perçu

  • Stéréotypes de genre, de race, d’âge, de statut

En résumé ?

Plusieurs recherches montrent que les stéréotypes de genre et autres biais sociaux renforcent significativement le syndrome de l’imposteur, en particulier chez les femmes, les personnes racisées, ou les individus appartenant à des groupes minoritaires dans leur environnement professionnel.

Donc, plus un environnement est codifié, compétitif, homogène, plus il est propice à l’émergence du syndrome de l’imposteur chez les personnes qui ne correspondent pas à la norme dominante.

Voilà, voilà. Premier tip sur le sujet : renforcer la mixité et la diversité partout, à tous les âges.

Ce que le syndrome de l’imposteur n’est pas

  • Se poser des questions sur ses choix ou sa valeur

  • Douter un jour où ça ne va pas

  • Être modeste

  • Manquer de confiance en soi ponctuellement ou régulièrement

  • Être timide

  • Ne pas aimer prendre la parole en public

Le syndrome de l’imposteur est un mécanisme récurrent, invisible, insidieux, qui génère une dissonance entre la réussite réelle et la perception de légitimité.

Kevin Chassangre identifie 3 critères fondamentaux sans lesquels on ne peut pas parler de syndrome :

  1. Attribution externe du succès : « J’ai juste eu de la chance » ou « Les autres sont trop sympas. Ma réussite est due au hasard. »

  2. Peur d’être démasqué·e : « Un jour, on va se rendre compte que je ne suis pas à ma place, que je suis incompétent·e.»

  3. Stratégies de surcompensation ou d’évitement : perfectionnisme, charge mentale, sur-contrôle ou fuite. Ici, le comportement peut se traduire soit par un sur-investissement (travailler excessivement pour compenser), soit par un évitement (procrastiner ou fuir certaines situations), deux stratégies qui entretiennent le syndrome au lieu de le réduire.

Si ces trois piliers sont présents, persistants et multi-contextuels, on peut raisonnablement parler de syndrome de l’imposteur.

Et dans la vraie vie, ça donne quoi ?

  • Comparaison permanente aux autres

  • Incapacité à recevoir un compliment sans le saboter

  • Évitement d’opportunités par peur de l’échec

  • Procrastination… ou ultra-surcontrôle

  • Détresse cachée sous le masque du sourire compétent

  • Auto-sabotage professionnel ou relationnel

Et dans une ère où tout le monde partage sa success story sur LinkedIn ou Insta, la pression à être « légitime » est décuplée. Et on se sent illégitime…

Racines dans l’enfance… et renforcement à l’âge adulte

Le syndrome de l’imposteur peut prendre racine tôt : dans une éducation où les standards sont flous ou inatteignables, où la réussite est sur-valorisée ou au contraire n’est jamais reconnue, où l’on est comparé·e sans cesse à une sœur, un frère, un modèle.

Mais comme le rappelle la psychologue interrogée : « Ce terreau précoce se combine avec des facteurs émotionnels, sociaux, professionnels. L’environnement adulte est souvent le catalyseur. »

Peut-on en guérir ?

Non, on ne « guérit » pas du syndrome de l’imposteur. Mais on peut cesser de lui laisser le volant. On peut vivre avec, en pleine conscience et en lui laissant de moins en moins de place

Chassangre préfère parler de sentiment plutôt que de trouble. Ce sentiment peut s’atténuer, se transformer, se mettre à distance. Il peut se réveiller dans certaines circonstances, puis reculer.

Ce qui aide réellement selon les approches thérapeutiques :

  • Identifier quel·le imposteur ou impostrice on est (profil cognitif, comportemental).

  • Comprendre comment le syndrome fonctionne chez soi : les déclencheurs, les croyances, les scénarios automatiques.

  • Développer une auto-empathie active.

  • Travailler des outils d’estime de soi, de confiance et de gestion du stress.

Et le context professionnel dans tout ça ?

Le management peut renforcer le syndrome… ou le soulager.

Mais attention : il est souvent difficile pour un·e manager d’identifier le syndrome chez quelqu’un. Parce que les personnes qui en souffrent ne le montrent pas. Elles compensent. Elles font bonne figure. Elles brillent souvent même… jusqu’à l’épuisement parfois.

Un bon management peut devenir un levier thérapeutique invisible :

  • En donnant du feedback clair, explicite, et basé sur des faits (pas sur des impressions), et en évitant le micro-management.

  • En valorisant les parcours, pas uniquement les podiums.

  • En formant les équipes aux biais cognitifs et biais de genre, pour éviter les doubles standards et la présomption d’incompétence.

Pour aller plus loin : des tips utiles

Pour les managers :

  1. Créer une culture du feedback explicite

  2. Valoriser le chemin, pas juste l’arrivée

  3. Faire l’audit de ses pratiques managériales régulièrement (on sait, c’est très subversif ça !)

Pour les personnes concernées :

  1. Nommer le script intérieur (et le confronter aux faits) : identifier cette petite voix

  2. Pratiquer l’auto-légitimation

  3. Dialoguer avec son syndrome

Et si le problème n’était pas la personne, mais la norme ?

Plutôt que de corriger les individus, et si on remettait en question les environnements qui les font douter ?

À quoi ressemblerait un monde du travail dans lequel personne ne se sentirait imposteur ou impostrice ?

Un monde où :

  • La reconnaissance est explicite.

  • L’imperfection est permise.

  • La diversité est réelle.

  • Et la performance ne se mesure pas à la capacité à se fondre dans un moule.

Et maintenant, on fait quoi ?

On parle. On déconstruit. On forme. On s’observe. On agit. On consulte.

Et surtout, on cesse l’injonction au “self-confidence”….



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