Changer une culture, c’est apprendre à voir l’invisible

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On l’a vu cent fois. Et encore…cent fois, c’est juste pour l’image…. Une entreprise décide de "changer la culture". Sur l’intention, c’est magnifique, et même louable, car nécessaire pour s’adapter à son environnement, et prendre ses responsabilités.

Prenons l’exemple d’une organisation qui veut plus d’inclusion, plus de feedback, plus de transversalité.

C’est parti, on lance un plan de communication, on crée un joli visuel pour la comm’ interne, on organise des formations et des séminaires, on invite des consultant·es au top, toutes les parties prenantes sont boostées (ou presque, dans le scope des attitudes face au changement, on retrouvera toujours un pourcentage en peloton de tête, la plupart au milieu et quelques personnes en bout de course qui rêvent de faire demi-tour)… et ensuite ?

On attend.

On attend des managers, en général de terrain (pendant que la direction a l’impression que chez elle tout est OK…), qu'ils et elles changent leurs actions et comportements pour produire le changement. Yaka…

Résultat ? Peu ou pas de changement. Et souvent, l’incompréhension: "On a tout mis en place, pourquoi ça ne prend pas?".

Mais au fait, pourquoi ça ne prend pas ?

Parce qu'on confond intention et transformation.

Dans les faits, le changement de culture, porté en grande partie par le management, se résume trop souvent à une transmission verticale d’informations et d’objectifs.

Arrêtons de croire qu’il suffit d’informer et de dire "ce sera mieux vous verrez" (même quand on y croit très fort, ce qui, cela dit, est un bon début (on voit tout de suite ce que cela peut donner quand le management en plus n’y croit pas complètement….)).

Un des postulats les plus tenaces en management est :  “si les gens ne changent pas, c’est qu’ils ne savent pas. C’est en partie faux. L’information n’est qu’un petit morceau du puzzle. Le management n’est pas une simple question d’action. C’est une ingénierie du comportement.

Manager, c’est chercher à créer un contexte de travail pour son équipe qui permet de : décider, s’engager, collaborer, innover, donner du feedback, recevoir du feedback, oser parler, oser écouter, oser dire “je n’y arrive pas”, travailler dans un climat sain. Et pourtant, on forme encore les managers à la gestion, et pas à la compréhension fine de ce qui motive ou freine l’action humaine. Dommage, car vous l'aurez compris, un bon ou une bonne manager, ce n'est pas quelqu'un qui "agit bien", c'est quelqu'un qui comprend avec subtilité ce qui empêche d'agir.

L’éclairage du modèle UNICEF

Et si on arrêtait de croire que "savoir" suffit à "faire ?

C’est ici que le Modèle des Facteurs Comportementaux de l’UNICEF peut aider. Conçu à l’origine pour des programmes de santé publique, il offre des leçons d’une incroyable pertinence pour les transformations managériales, culturelles et organisationnelles.

Ce que ce modèle rappelle :

  • Les comportements humains ne répondent pas à la logique du “je sais donc je fais”.

  • Les comportements humains sont influencés par un ensemble complexe de facteurs psychologiques, sociaux et structurels.

Autrement dit, on peut tout savoir sur les bienfaits d'un changement... sans jamais le mettre en œuvre.

Trois leviers qui façonnent le comportement

Le modèle repose sur trois grandes familles de facteurs qui déterminent la probabilité qu'un comportement se manifeste ou non :

Psychologiques : les croyances, les émotions, les peurs, les attitudes, la motivation, le sentiment d'efficacité personnelle, les biais cognitifs, l'intention d'agir (ou non).

Sociologiques : les normes implicites dans le groupe, la pression sociale, la dynamique collective, la culture d'équipe, les valeurs partagées (ou pas).

Environnementaux : les barrières structurelles, les contraintes institutionnelles, l'accessibilité des alternatives, la communication ambiante, le leadership visible ou absent.

Traduction managériale, et ce que ça change pour le management

Si vous voulez faire évoluer les pratiques de vos équipes, commencez par comprendre leurs représentations, leurs peurs, leurs croyances, les modèles implicites qui les guident. En fait, un peu tout ce qui ne rentre pas dans un tableau excel ou un plan d’action… On parle ici d’éléments intangibles… Oui, on sait, cela demande beaucoup d’effort et d’apprentissage dans les entreprises où les reportings prennent toute la place… et en même temps, c’est ce qui devrait passionner les managers : la complexité de l’humain. Il semblerait que les promesses du statut social, les erreurs de recrutement et les contextes sous pression freinent considérablement la prise en compte de cet intérêt inconditionnel du management. Bienvenue dans le monde merveilleux du narcissisme, où managers et leaders avancent avec une belle intelligence, une vision, de l’expertise métier et un peu trop d’ego. Avec une capacité faible et peu entrainée à la conscience de soi. Vraiment. Bienvenue aussi, dans les contextes qui ne permettent pas le temps et les espaces à prendre de la hauteur, à faire un pas de côté. Dommage.

Pourtant, ce modèle est une invitation à regarder les comportements dans leur contexte réel, en sortant du filtre de l’idéal théorique et de sa propre carte du monde. Tiens, tiens…. On pourrait presque parler de posture d’humilité, d’ouverture d’esprit, et de curiosité pour la carte du monde de l'autre.

Le leadership transformationnel commence par une cartographie de l’intangible

Chaque manager devrait pouvoir, face à une situation de blocage ou de résistance, se poser cette série de questions :

  • Quelles croyances ou normes sous-tendent ce comportement ?

  • Qui influence ce comportement dans le groupe ?

  • Quelles structures, visibles ou invisibles, maintiennent le statu quo ?

  • Qu’est-ce qui est vraiment valorisé ici, consciemment ou non ?

  • Est-ce que moi-même je renforce inconsciemment ce système ?

  • Est-ce que moi-même j’ai conscience de mes propres émotions, de mes propres peurs ?

Plutôt que de tenter de "faire changer" les autres (on constate aussi que dans la vie privé cela ne fonctionne pas 😉), le modèle présenté ici nous invite à concevoir des environnements qui rendent le changement possible, probable, désirable et soutenable. Un leadership pertinent ne s’impose pas, il se construit, il évolue, il observe, il creuse, il s’interroge, il se transforme.

À l’heure où les organisations doivent s’adapter à des enjeux humains, écologiques et sociétaux inédits, ce modèle est une boussole précieuse. Il exige de la rigueur, de la nuance, et surtout... de la curiosité. Et si, au lieu de demander aux autres de changer, on commençait par questionner nos propres angles morts ?

Comment s’assurer qu’on arrive à le faire vraiment ?

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